CARNETS DE TRAVERS, FRAGMENTS D'UNE VIE EN COURS








Excusez-moi, j'ai perdu la tête dans beaucoup de voyages.
Usé mes membres sur beaucoup de montagnes,
beaucoup de galets et dans beaucoup de tempêtes.
J'ai laissé courir mes mains sur des corps voluptueux.
Que voyez-vous de moi aujourd'hui ?
Du fripé immobile sur une chaise en plastique ?
S'il vous plaît, pas de soleil sur moi !
Mais attention au courant d'air sous la pergola moussue.
Suis fragile maintenant,
comme une coupe de champagne vide.

HÔPITAL DE LA TOUR

Le chaudronnier est sorti de son atelier, les mains dans les poches. Certains, pour accueillir l'étranger, se campent en eux-mêmes. Il apprécient mieux, ainsi tenus, la situation. Comme pour mettre une distance suffisante entre les êtres, non pas dans l'espace mais dans le temps. Pour l'étirer, le déposer avec précaution entre lui et l'autre qui vient. Pour en apprécier chacune des secondes de l'approche. Puis, devant un verre de café, ils parlent de l'acier à découper, à plier, former, souder, laminer...et des mots à triturer de la même manière, de la même matière. Alors que le chaudronnier, noirci de limailles, se masque à l'extérieur, on y voit les manipulations anciennes de sa propre matière! L'écrivain, lui, se masque de l'intérieur, on ne voit pas ses triturations. Les deux sont dans la montagne, échangent leurs ficelles de fabrication. Les détails et précisions de l'objet à révéler chaque jour. Enfin, l'oncle rejoint son neveu le temps d'un verre de café sur la terrasse et pour parler de l'envers de la montagne.


SAINT JEAN DE THOLOME


Les enfants, comme partout, dans les cours automnales, posent des questions aux arbres en hiver. Ils donnent des coups de pieds dans ces réponses en hurlant de joie. Les réponses s’envolent, poursuivies par des éclats de rires.


Un trampoline décharné dans les pommiers. Un trampoline sans cris, ni sauts d’enfants dans le grand pré, de rebonds loin de la maison. Un trampoline installé dans les hauteurs de la montagne, dans un ciel immense. Un trampoline vide, les filets meurtris tout un été, survolé par les geais et les pies.


VIUZ-EN-SALLAZ




Les talus se souviennent de votre cheminement. Vos yeux innombrables aux pieds des épervières, des repousses de chênes, de noisetiers, de marginaires dans les herbes. Tous agrafés dans le peu de verdure et qui maintenant vous regardent passer.


VERS CHAZ


Une voiture tire fièrement un rhinocéros monumental en plastique. L’homme, au volant, annonce la venue d’un cirque dimanche prochain. Un jeune homme sur le trottoir, les bras en l’air, hurle sa joie. Sa course est un peu particulière, dégingandée, incohérente. Il poursuit la voiture. Mais il tient le cap, même de travers comme lui ! Son visage est illuminé, enchanté de poursuivre les étoiles peintes sur la carroserie. Il veut toucher le rhinocéros. Il bondit, saute sur le trottoir, applaudit, les doigts écartés, la paume tendue contre la paume tendue. Il applaudit le haut parleur qui secoue enfin la ville, ses murs trop étoits, ses fenêtres trop fermées. Il applaudit, la fanfare, les tambours, l’annonce du jour. L’homme qui tire sur sa remorque un rhinocéros en plastique dans la montagne lui sourit, heureux lui-même d’être aussi bien accueilli.


SAINT-JEOIRE


Nous la sentons toute proche la vérité de l’instant, alors, nous jubilons ! mais tout ceci est de courte durée. Déjà une autre vérité nous prend dans ses bras.



C’est d’être ici, loin de chez soi, que l’on perçoit au mieux toutes les voix du monde. Tous les cris, les joies, les douleurs. Les corps échangés contre un baiser, un fruit, une pierre, une porcelaine et son eau claire. C’est d’être ici, loin de chez soi, que toutes les routes sonnent leur désert à cheminer. Donnent à l’horizon leur longueur assurée. C’est d’être ici, loin de chez soi, que la mort nous comprend le mieux.

RAMALLAH
  
Je suis avant le poème, le regard levé, en suspend la pensée ! Comme le serait le pied de l’homme ou la patte d’un chien d’arrêt, d’un chien de chasse. Un arbre, dont on voit de plus en plus le lierre autour de son tronc, alors que ses feuilles tombent à chaque seconde de vent.   Sous ses branches décharnées, une route déliée sur laquelle tous les monts endormis dévalent lentement la pente vers la ville. Se dévalent en eux-mêmes. Ils se plient, s’enroulent, se mettent en boule dans le coffre de chaque auto, pour une journée entière, hors de la vue. Ils reprendront leur forme la plus élevée ce soir, quand tous remonteront déplier la carte du territoire sur la table de la cuisine.

MARCELLAZ



Elle est revenue cette nuit la mer, avec le visage de mes amis disparus. Lavés, vidés de leur flots sanguins, brassés dans les rouleaux. Au matin, dans la ligne laissée sur les plages : des os de seiches, des cordages, des crânes vides de goélands et un renard qui aiguisait du museau piteusement sa faim dans les rochers noirs.


PORZ-POULHAN


Aire du grand Meaulne : donc, le père d’Alain Fournier (on ne donne pas son nom sur la plaque émaillée du tourisme rapide !) fut instituteur à Epineuil-Le-Fleury près de Meaulne qui donna le titre du roman de son fils. Jacques Chevalier vécut là aussi (philosophe). Emile Guillaumin. Valéry Larbaud. Jean Giraudoux à Cérilly. Charles louis Philippe (Bubu de Montparnasse). Le nom des écrivains nourrit souvent les aires d’autoroute, agrémente le dégourdissement des jambes devant un terrain de jeux tout en couleurs dites joyeuses, dans lequel pendent des enfants dans l’air glacial.
 MEAULNE


Elle est revenue cette nuit la mer, avec le visage de mes amis disparus. Lavés, vidés de leur flots sanguins, brassés dans les rouleaux. Au matin, dans la ligne laissée sur les plages : des os de seiches, des cordages, des crânes vides de goélands et un renard qui aiguisait piteusement sa faim dans les rochers.
PORZ-POULHAN


La cabane est tombée, le temps, le vent, la durée. Pourtant de loin, les planches ont bien l’air encore bonnes et solides. Étaient-elles mal clouées entre elles ? La cabane a-t-elle été détruite en singeant exactement les effets de la nature ? La question de la cabane est laissée là en plein champ, à la vue de tous, à l’interrogation de tous. La réponse est sans doute sans intérêt, comme ce texte. Mais alors, pourquoi construire quelque chose de solide, de le détruire avec tant d’interprétations possibles et de le laisser à la vue du plus grand nombre ?

BALLON


Entre Berne et Bâle, cela peut paraître insupportable à un défavorisé, la vue d’un train qui passe à grande vitesse dans une large plaine verdoyante, suivi sur la route presque blanche par des automobiles qui glissent aussi dans les courbes du paysage, le tout survolé par un avion qui se dirige vers Rio. Cela peut paraître insupportable à celui ou celle qui fraude par manque de monnaie le portique d’un métro.


ENTRE BERNE ET BÂLE

Remplir des carnets, ce n’est pas plus que la pluie qui tombe et remplit les ruisseaux et les rivières. Ce n’est pas plus et ce n’est pas moins. Au final de cette tombée, personne ne s’occupe de savoir d’où vient la mer et s’il n’a pas plu, même trop longtemps à tel endroit, pour la remplir !

EN BEULE


Au-dessus du hameau, une maison aux carreaux cassés, un seau bleu et moussu sous une descente de chéneau, des hausses de ruches penchées dans les herbes, des empilements de pots de fleurs, des portes bouteilles d’un jaune pâle rouillé avec à l’intérieur de ces ferrailles esquintées quelques bouteilles qui brillent – le soleil se lève – un grand lilas cerclé dans un tonneau d’acier qui maintenant s’élève du sol, trois linges sèchent dans le vent – quelqu’un dort à côté -, donc : du soleil, du vent, du bruit ( l’autoroute que l’on ne voit pas passe dans le lointain ! ). Alors que je finis de prendre note, un homme vient vers moi d’un pas rapide, curieux et sans doute inquiet de cet homme qui écrit sans bouger, assis sur un rocher face aux collines qui sortent de la nuit. Il est jeune, son accent aussi. Il me dit que oui, le chemin continue après la boîte aux lettres, mais la rumeur automobile est trop forte, je ne le lui dis pas. Je ne veux pas aller vers le bruit. Je redescendrai par la petite route que je viens de marcher, prendrai par ailleurs, par la gauche sans doute pour voir encore. Je ne connais rien de ces terres-là. Ce n’est pas pour occuper mes jambes ou fatiguer mon corps, c’est pour voir si là-bas j’y suis. J’aime vraiment cette expression, et pour voir surtout si je peux y disparaître et très précisément dans quelle image. L’homme repart en courant chez lui, ce qui m’étonne au petit matin. Il ne repasse pas devant moi en voiture pour être à l’heure au travail dans la vallée. Il y a du Gard dans ces terres alors que nous sommes dans l’Hérault. Nous ne voyons pas les paysages passer. La mémoire retient quelques parcelles, les carnets quelques mots assemblés, même inventés sur son compte. Mais les paysages passent d’un pas d’arbre à l’autre, ils traversent les pays et d’horizon en horizon font le tour de la terre et, longue marche, reviennent sur eux-mêmes. Tous liés, ils vont du désert à la mer, de la plaine au plus élevé, ils respirent dans l’immense poche d’air.

BEAUMAT


Deux tôles grincent, couinent, s’entrechoquent lorsque le vent se lève. Tout se lève. Alors que ce bruit me rappelait au début de l’effondrement qu’il me fallait réparer le toit de ce nourrissoir des bêtes, aujourd’hui, ce bruit est devenu une présence amicale. Le bruit de ces tôles froissées m’apaise.


L’attente offre bien des soulagements si l’on en reste là, sans autres questionnements. Si la curiosité nous faisait passer de l’autre côté de l’attente, du côté d'une réponse sans ambiguïtés, le pourcentage de suicide par défenestration augmenterait certainement. Attendre permet d’échapper à tous les pourcentages et puis, sait-on jamais, tout peut s’améliorer !


On peut se moquer de Marguerite Duras qui se torture à la vue de l’agonie d’une mouche. Trouvez-vous seul depuis plusieurs jours quelque part. Pas un bruit dans la maison, pas un son médiatique. À ce moment-là, la seule vue d’une mouche lourde et grasse, sur le dos, à peine vrombissante, vous fera penser plus que n’importe quoi ! Plus que n’importe qui ! Vous fera penser et sans doute pleurer de solitude humaine comme sa condition.


Nous nous retrouvons devant notre carré de sable à ratisser l’ensemble avec un vieux râteau rafistolé. Le manche est grisâtre, fusé par le temps, et nous aimons son contact sous les mains serrées. Nous aimons plus son contact que le résultat de ses dents parallèles dans le jardin, cette vision qui serait notre double intérieur. Faire de l’intérieur un terrain extérieur est l’objet de tout ratissage. Mais alors quoi devenir de ce sable transporté, déménagé, dessablé d’un endroit à l’autre ?

SAINT-PIERRE-DE-PLESGUEN


Le linge tourne. Nous sommes assis en face de nos tambours respectifs. Avec Betty nous regardions son linge tourner dans une laverie automatique de Bagnols-sur-Cèze. Nous avions 25 ans. Nous sortions d’une nuit blanche d’amphétamine. J’étais triste de tout, même du linge qui tournait, les drogues ne m’ont jamais réussi. Betty parlait avec clairvoyance, ses yeux bleus se moquaient du linge qui tournait. Elle ne me regardait pas, disait que seule comptait la vérité. Toi, es-tu dans la vérité de ton être ? Moi, j’aime la lessive, je ne m’intéresse pas au linge qui tourne.


Comme Charles Baudelaire qui rouait de coups les pauvres pour réveiller leur corps et leur âme endormis, et rendre à ceux-là leur dignité après s’être fait maltraiter en retour par eux, on a parfois l’envie de faire de même avec certains des jeunes gens de la ville. Évidemment le risque aujourd’hui est plus grand avec la résurgence des fusils à pompe !


Il frappait avec sa canne sur les portes des débits de boisson de St Malo. Avec lui le moindre bar devenait taverne ou estaminet obscur d’où pouvait surgir d’une cave lointaine le meilleur des vins. C’est ce qu’il gueulait d’une langue étincelante dans la nuit. Pas la peine d’ouvrir si vous n’avez pas un vin exceptionnel pour nous enivrer. Réveillez-vous, nous avons soif. Le ciel était plein du noir de l’océan et j’étais heureux et fier d’accompagner un écrivain qui devait par la suite m’aider à vivre. Aujourd’hui il pleut sur un chantier à Vaulx-en-Velin. C’est parfait pour penser à lui. Cet homme du nord et qui n’est plus. Parfait pour perdre ses yeux dans la brume et revivre cette première petite table ensemble où finalement nous avons bu de la Chimay en parlant de la nuit sans fond et des morceaux de papier qui encombrent nos poches alors que nos mains ont besoin d’air !

VAULX-EN-VELIN


À la terrasse d’un boui-boui à deux billets de la rue des prostituées, à croquer des boulettes turques en compagnie de Françoise et de Jacques, à boire de la bière brésilienne légère comme le léger courant d’air qui passe sur le trottoir. Je sors de ma besace ce que j’ai acheté, une céramique étrange. Je demande à mon voisin ce que c’est ! Un symbole, un totem ? Il fait une grimace de dégoût, me parle en deux mots de français, trois d’anglais et le reste en portugais. C’est une horreur, de l’art contemporain qui ne veut rien dire. Il me demande combien j’ai payé ça, cette chose ridicule et immonde. Je lui réponds, très cher, pour exagérer le prix de cette misère. Alors qu’il manipule ma céramique je me dis qu’il a peut-être raison. C’est peut-être une chose idiote et laide et que finalement je suis comme tout le monde. Comme tous ces touristes que je condamne avec leurs achats imbéciles d’objets à ramener à la maison et à déposer sur le buffet du salon. Voyez-vous, je suis allé au Brésil !

RECIFE

Dans le Café Chez Anza, Olivier, le fils, a repris le café de sa mère. Le café est dans son jus, hier et aujourd’hui mélangés avec lenteur. Il fait épicerie, on y achète le pâté pour accompagner le vin, le pain c’est dans la boulangerie d’à côté. On discute, on grignote, on fume à l’intérieur et on se tutoie. Une fois que l’on a fait le tour d’une question que l’on n’a pas posée, dont on n’a à peine écouté la réponse, tout ceci paisiblement au milieu de nulle part, on sort pour traverser un crachin rafraîchissant, on passe la grille du calvaire aux baladins éreintés de chaque côté du Christ. Quelqu’un dit va voir. On s’avance vers un clos ajouré. On passe la tête dans les pierres anciennes, abasourdi par un ossuaire à ciel ouvert. Dernièrement, l’employé municipal a soigneusement rangé les os. Les fémurs avec les fémurs, les humérus avec les humérus, quelques omoplates en paquets, peut-être des mandibules en vrac dans le coin avec des radius, adieu les rotules, trop petites, ne parlons pas de ce qui concerne les mains, enfin les crânes avec les crânes. Tout verdit pour unifier l’ensemble et le rendre archéologique. Une jeune et très belle femme emmitouflée dans de la laine raconte son enfance au village. Petite, son corps passait entre les colonnes de granit, ainsi elle pouvait, le jeudi, donner les os aux chiens du village. Pendant qu’elle raconte son affection pour les animaux on peut s’attendrir dans un doux nid d’oiseau rondement mené dans un crâne ouvert lui aussi. On passe alors la main sur sa tête pour caresser son propre crâne, essuyer un peu de crachin tout en pensant aux oiseaux et on repart faire sa vie dans le gris en espérant qu’elle sera longue et belle.


LANRIVAIN

Je tourne autour de la question de la maison étrangère. Je retourne à elle fermée depuis deux mois. Ses carreaux de terre cuite, son escalier pour mes pieds nus. Là-haut, dans le monde loin de lui, j’écrirai les retrouvailles d’avec les heures intimes dans lesquelles l’être s’étonne de posséder autant d’existence.

VILLEVÊQUE


Sur la route de Besançon. Les boursouflures calcaires, éclatées, sans éclats. Seulement de la lumière empierrée vieille table. Tout suinte, vulgaire, se retrouve à l’urinoir de l’or quand le soleil, de la mélasse au fond de la fosse. Descendent les bois trempés lourds, les paquets de terre pudding la caillasse. Tout à la route sur laquelle l’étincelle rien ne regarde. 

BESANÇON


On est dimanche. Dimanche. Dimanche. On est dimanche. On est dimanche. Je lui réponds, mais non, on est samedi. On est dimanche. Si vous voulez on est dimanche. On est dimanche, je rigole, on est dimanche. Oui, on est dimanche. Je rigole, on est dimanche. L’homme devant moi et qui bave en souriant sur le quai de la gare de Clermont-Ferrand me répète cette unique phrase à 10 centimètre de mon visage. Il a une toute petite tête et de très grandes oreilles. Il tient un sac en plastique blanc avec des pommes dedans que l’on voit en transparence. Ses chaussures noires sont aussi longues que celles d’un clown, mais celles-ci sont pointues. Je lui souris car il me fait sourire. Son humour n’est pas désopilant. C’est un humour bien au-delà de l’humour. Hors du temps il se moque bien des jours et des semaines. Je le retrouve en fin d’après midi à Lyon Part-Dieu errant de visage en visage et souriant. On est dimanche, on est dimanche. Tous s’écartent à cette seule phrase et le voyant. Depuis ce matin, dans la cohue de mon voyage et les retards ferroviaires, c’est le seul être remarquable à qui j’ai parlé. Nous sommes bien dimanche !

CLERMONT-FERRAND / LYON




De flaque en flaque ils s’aiment, lisent, travaillent, vont et viennent sur ce qui reste de terre. Ils attendent la décrue, connaissent l’eau de l’intérieur. Les dessous de la flaque. Au bout des étendues rayonnées, piquées d’oiseaux blancs, on peut entendre les enfants dans les cours d’école. Leurs cris de joie prennent de la vitesse sur les eaux vastes. Traversent avec fracas les arbres détrempés. Aux cimes brindillées les corneilles emportent quelques éclats de rire pour consolider leurs nids de grisaille. Les jardins goûtent la rivière dépassée par elle-même. Les râteaux et les bêches de l’automne dernier perdent leurs dents au garant de chaque marée. Les retrouvent un matin d’abandon et d’hiver parmi les graines engourdies venues d’ailleurs, déposées là entre les murs. Ô plantes invasives que nous aimons découvrir au printemps ! Tous regretteront au bout du compte le grand débordement qui donnait aux fenêtres un air atlantique avec des arbres dedans.

VILLEVÊQUE




On le sait, je m’attache au clou rouillé, il attire toute ma compassion. C’est un ami que je ne laisserai jamais tomber. Il y a la ficelle, la pince à linge en bois aux attaches rouillées elles aussi, et d’autres petits objets sans importance souvent par terre. Enfin, je m’attache à l’usure, je l’ai assez écrit. Mais depuis peu, je ne m’attache à rien. Tout ce que je suis s’épanouit là. Aussi dans ce rien s’épanouit ce que je suis. Ce n’est pas de l’écrire que je sauverai quoi que ce soit du désastre.



Tous ces étés où la vie était exacerbée, démesurée, souvent amoureuse. Où la vie n’était pas la vie de l’année courante. Tous ces étés qui, un soir d’été, seul sous un tilleul translucide comme une méduse dans ce ciel du mois d’août, se mélangent et font un bruit doux d’une grande mélancolie comme encore: le braiment d’un âne dans le lointain, l’écoulement glacée d’une fontaine sur les pieds blonds d’une convoitée.

CUILLER



L’été les trains déraillent, on lit des polars, on jette des pièces dans des chapeaux au sol des rues touristiques, on boit du rosé même si ce n’est pas du vin, on regarde les épaules des filles ou les fesses des garçons, on sue dans les théâtres en toute intelligence, on danse traditionnel en imaginant une autre société, on s’attendrit devant un chaman de super marché, on prend son temps dans des tongs fluorescentes.

LALINDE


Ils parlent de Guantánamo, de la Syrie, de la nuit douloureuse, de la présence ténue, du monde qui danse, d’une femme en allée. Ils sont tout entiers dans leurs poèmes qu’ils donnent à la volée dans les pierres assemblées autour d’eux. Une mouche traverse midi, un soleil lourd sur ses ailes.




On prend une photographie, quelle expression inappropriée ! On fait une photographie, on ne prend jamais rien ni quoi que ce soit. Ce n’est qu’une photographie. Sur le document, rien ni personne. Uniquement de la lumière.



Dans le jardin du Greco, un chat roux attrape une ombre vacillante, une grenade encore fermée. Le jet d’eau d’une fontaine attend la fin du carillon. Quelques cyprès balancent dans le bleu pâle. Les mains du Greco papillonnent à l’infini, de toit en toit pour le désert au-delà du Tage.

Le Tage au bord du Tage. Pas un poème en ses reflets. La ville tremble dans son velours gorgés d’étoiles. Les pins et les cyprès violentés d’éclairages publics s’ennuient sur les terrasses aux fleurs épuisées de chaleur. Le Tage chute sans cesse chute de l’obscur à l’obscur. D’un temps à l’autre l’amour chute comme le Tage chute disparaît en lui-même sous l’arche au torse bombé d’une nuit sans lune. Sans miroir pour se mirer, ô moires inouïes.

TOLÈDE 

Je prends toujours deux pommes pour le voyage. Une pomme que je croque à l’aller, ferme et juteuse, couleurs vives. L’autre, celle du retour est légèrement plus sèche et un peu cabossée au fond de mon sac. Comme plus mélancolique. Dans les deux cas, je croque de la fenêtre du train, le paysage, ses routes et ses maisons. Son espace infini.

 
Elle marche, bras croisés, habillée d'un long tee-shirt jaune pisseux. On voit son slip noir par transparence qui laisse imaginer le fessier. De chaque côté de la route des champs de tournesols font du bruit dans les yeux.


SAINTE-RADEGONDE DE ROQUEPINE
 

Un vieil anglais se tient calé dans son fauteuil en osier. Une bière pression bulle devant lui. The Gardian dans la main gauche il éclate de rire. Un bob sur la tête, retenu par les plus grands et broussailleux sourcils que je n’ai jamais vu.

BERGERAC
 

Sur le quai de la gare, un homme tient à hauteur de poitrine un petit figuier dans un sac en plastique.
 
LOURDES
 

Une certaine répulsion à la vue d’une vieille femme à genoux, courbée en avant, main tendue près d’un distributeur bancaire et qui regarde les yeux battus les argentés. Une répulsion certaine à la vue de cinq policiers qui marchent vers elle. Alexandre Romanes dit de ces femmes qui nourrissent leurs enfants, elles tendent leur main au diable. Je pense encore une fois à mon grand père clochard. Chacun d’être dans son travail de vivre et à celui de mourir.
 
LYON PART-DIEU

8h51 -3°, une femme voilée tapote sa jambe devant la pharmacie. Tout est froid et plat, l’église, la mairie, la façade des maisons et le kiosque à musique de forme carrée trempe ses pieds dans le vide. Quelques voitures se garent devant la boulangerie. Le désir de manger du pain chaud.

 BOËGE
 
Les fleurs mauves des haricots. Un tas de compost se consume après la pluie. Alors l'italienne demande à l'homme mûr comme une quetsche de septembre, dis-moi, avant de tomber de l'arbre, que ferais-tu si tu voyais une jeune femme nue remonter le pré, bras ouverts pour toi ?

Il est petit. Il a 45 ans. Il fume un petit cigare. Il a crocheté son parapluie dans le dos, dans le col de son blouson de cuir noir. Il est accompagné d’un homme qui joue aux fléchettes électroniques, dont il ne connaît pas le nom. Ils se connaissent depuis toujours. Étranger l’un pour l’autre !
  SAINT-CLAUDE

Au cimetière des Îles, une femme discute avec un chat qui ronronne devant la tombe muette de son mari. Des camions citernes traversent les pins poussiéreux. La solitude comme un bruit sourd. La rue gronde, puis plus rien. Ce n’est pas un enfant qui parle mais un homme qui passe son temps à retenir ses larmes.

ANNECY
 

Régulièrement, passe sur les trottoirs de toutes les villes du monde, mon père. Sa moustache et sa nonchalance. Il porte toujours le même gilet vert col en V, simple et discret. Sa tête est toujours pleine de rêves pour demain. Ses mains sont enfoncées dans l’absence.
  MILLAU


Les couronnes mortuaires rampent sur le trottoir. Couronnes argentées, vertes, filamenteuses, traversées d'un bandeau d'or et de bleu. Je me souviendrai toujours de toi. Tu es dans mon cœur.
 
LYON

Il rentre dans sa voiture sur le parking d'un super marché. Je l'entends dire et alors !  Un caniche abricot se précipite sur lui et semble l'embrasser. Il ne le lèche pas. Il ne cabriole pas avec hystérie. Il l'embrasse doucement et retourne se coucher derrière lui.
 
BELFORT
 
La nuit vient. L'on passe devant une maison faiblement éclairée et l'on se dit, c'est là que je veux vivre. Avec cette femme inconnue qui se repose sous l'abat jour.

 VERTAMBOZ

Deux hommes passent dans une langue étrangère. S’arrêtent parfois sous un lampadaire. Loin de ce qu’ils désirent vivre.
 
BOULOGNE-SUR-MER

Le duvet de décembre, sa lumière dans la paume de la main. La masse des ronces regroupées ce matin au coin d'un regard affecté. Les arbres descendent sans cesse dans la vallée, repoussés chaque jour par un homme qui pandicule au bord des failles.


EN BEULE
 

Des vieux balcons, des rideaux sales. Des ballons de couleur dans une boulangerie. Une fontaine éteinte et un drapeau français, bleu, blanc carbonique, rouge. Le soleil par-dessus les toits. Une véranda bleue, une femme qui lit ! Des voleurs de cuivre sont interpellés dans un kiosque à journaux. Un ciel si noir rue Renoir. Les couleurs de la poste et celles des pompiers. La vache qui rit a disparu des palissades. Des arbres encapuchonnés pour l’hiver sur un balcon. Le vertige ancien d’une cigarette au mois de janvier dans une ville étrangère. L’horloge est trop décorative pour simplement donner l’heure. Tout clignote en silence et les autos passent en suçant un à un les pavés.
 
LONS-LE-SAUNIER

Les croix du calvaire sont démontées, couchées entre deux genévriers noirs. Près de ces poutres noires un ballon perdu dans la pente.
                                                  
MONSAC

Il est mort et son ventre est plein de fleurs. Une odeur de grandes bougies jaunâtres transpirent dans les pierres grises. Son fils nous a parlé du génocide arménien. De la rencontre amoureuse d’avec sa mère et des vacances, de l’épicerie. Il est mort, son ventre est plein de fleurs.


SAINT-GENIS-POUILLY


Une carte postale dans les arbres. Au bout d'un ruban jaune et d'un ballon crevé de Ronger Coralie 6ème E Bisous à tous, on vous aime !

 

 
CROZET

Il nous faut construire des jardins pour convaincre les guerriers de déposer les armes au sol. Les roses et les glycines ne craignent pas la naïveté.
 

Donne-moi un baiser. Tu sais combien j’aime ta langue. La souplesse des mots que tu ne diras pas. Leur fraîcheur tournoyante, la douceur de leurs dents. Donne-moi un baiser que nous puissions en un flot de salive échanger nos silences, les yeux fermés.

Du côté de la mélancolie un homme et une femme ont ouvert le coffre de l’enfance, depuis ils se regardent à travers un nuage de fumée.


RENNES